(kit) history is made at night

Aubrey arriva devant le petit appartement en fin d'après midi. Elle pensait venir bien plus tôt, mais ce n'était jamais facile de s'éclipser sans avoir ses parents ou son fiancé sur le dos. Elle ne voulait pas parler de Kit. Même s'ils ne faisaient rien de mal, elle voulait garder ça pour elle. C'était son moment à elle, à elle et à lui. Personne d'autre. Elle angoissa légèrement en tapant à la porte de Kit, se demanda si elle avait bien fait de venir, si ce n'était pas trop tard, s'il était seul. Elle attendit qu'il ouvre la porte pour lui sourire doucement, avant de parler doucement. — Je te dérange pas ? Je sais que c'est un peu tard, mais j'avais juste... envie de passer. Elle aurait pu mentir, dire qu'elle était dans le secteur, que c'était un hasard, mais elle ne voulait pas lui mentir. Pas à lui.

Kit était tranquillement affalé devant sa télévision, à caresser Matt, son cochon d’inde, sous un plaid en tartan, démodé et vieux comme le monde. Il regardait the walking dead, une série pour laquelle il avait développé une véritable passion depuis la parution de la bande dessinée. Lorsqu’il entendit sonner à la porte, Kit fronça des sourcils. Son colocataire et meilleur ami était chez sa petite-amie et aucune visite n’avait été signalée sur son téléphone portable. Il mot ‘’pause’’ à son épisode et, son cochon d’inde dans les mains, se dirigea vers la porte d’entrée. Il l’ouvrit, découvrant Aubrey. Là, Kit regretta aussitôt son vieux jogging et tee-shirt de crosse. « Je t’en prie, entre », dit-il en se dérobant pour laisser passer Aubrey. Heureusement qu’il était assez organisé et que son appartement était rangé, propre. Kit alla déposer Matt dans sa cage, ne la refermant pas nécessairement derrière. Cet animal gambadait selon sa volonté, souvent. « Tu veux boire un truc ? » proposa-t-il en passant sa main dans ses cheveux puis en se grattant la nuque, un réflexe lorsqu’il était nerveux.

La jeune femme sourit doucement au musicien alors qu'il l'invitait à entrer chez lui, directement, et elle avança dans l'appartement une fois qu'il s'était poussé. Elle regarda rapidement autour d'eux. Il était seul, c'était déjà ça. Elle n'aurait pas aimé le trouver en compagnie d'une jeune femme, ou même ne serait-ce que de son colocataire. Elle ne voulait être avec personne d'autre que lui. L'appartement ne lui était pas inconnu, elle était venue ici quelques fois, dans l'après midi généralement, pour faire un peu de musique, oublier son triste quotidien et sa relation plutôt bancale avec son fiancé. — Je suis désolée, ça se fait pas du tout de passer au hasard comme ça. Je m'en rend compte maintenant, fut sa seule réponse, et elle se tourna à nouveau vers lui. Dès que son regard rencontra celui de Kit, elle ne pu s'empêcher de sourire. Au fond, elle ne regrettait pas vraiment sa venue.

Aubrey s’excusa. Il ne voyait pas en quoi dans la mesure où cela lui faisait réellement plaisir, à en croire par le large sourire sur son visage. Il secoua la tête, contrant ainsi les excuses de la jeune femme. N’ayant pas de réponse, il se dirigea toutefois vers la cafetière pour lancer deux boissons chaudes. Au passage, il coupa la télévision. « Cela me fait vraiment plaisir », ajouta Kit en plaçant une tasse sous la machine. S’accoudant à l’ilot central, il observa la chanteuse. Elle était vraiment jolie, une beauté naturelle et simple contrastant fortement avec les jeunes femmes qu’il ramenait souvent à la colocation, pour une nuit. « On pourrait s’improviser un bœuf ? » suggère Kit. Ils le font souvent. Lui au piano, elle à la voix. Des covers, toute simple, sans aucune prétention. Artistiquement, ils s’entendaient à merveille. Le premier café se termina. Kit fit glisser la tasse vers Aubrey en l’invitant à s’asseoir avant de lancer sa propre boisson. « Quoi que le piano à cette heure-ci, je ne suis pas certain que mes voisins apprécient », ricana le brun.

Elle le regarda se diriger vers la cafetière, et Aubrey la suivit, en profitant pour la détailler rapidement du regard. Elle le trouvait terriblement beau, et ça n'arrangeait rien à la situation. Même habillé simplement, c'était comme si elle ne pouvait pas s'empêcher de le regarder. Il leur fit un café, et Aubrey ne put s'empêcher de rire à sa reflexion. — Effectivement, c'est possible qu'ils n'apprécient pas. Ou il faudrait chanter vraiment doucement. Elle fini sa phrase en chuchotant presque, avant de lâcher un petit rire. Elle le remercia lorsqu'il lui tendit une tasse, et souffla dessus avant de boire une gorgée. — Tu as échangé ton colocataire contre un cochon d'inde pour la soirée ? lui demanda-t-elle avec un petit air amusé sur le visage.

Faire de la musique à une heure aussi avancée de la soirée pouvait compromettre les relations déjà difficiles avec le voisinage qui ne supportait pas les soirées et les retours de soirées ivres, parlant et riant fort dans la cage d’escaliers. L’option était donc rejetée et Kit s’en trouva bien embarrassé : hormis faire de la musique avec Aubrey, il ne savait pas quoi faire. Avec toute autre femme, il se serait envoyé en l’air mais là, c’était différent. Il ne pouvait pas. Oh, l’envie ne lui manquait pas mais un neurone dans son cerveau lui rappelait sans cesse la bague brillant à son doigt : Aubrey était fiancée. Kit se réfugia dans son café, cherchant par là à cacher son malaise alors qu’Aubrey se moquait visiblement du type d’animal de compagnie qu’il possédait. Kit se redressa, prenant un air faussement outré. « Matt, il s’appelle Matt ! Je ne te l’ai jamais présenté ? », s’offensa-t-il de lui-même. Somme toute, Matt n’était qu’une boule de poils réservés aux enfants mais il avait autant d’importance aux yeux de Kit qu’un chat ou qu’un chien n’aurait eu. Il se leva et alla chercher la boule de poils – littéralement – dans sa cage, entre ses mains. Il tendit ses grandes mains puissantes contenant le cochon d’inde vers Aubrey. « Aubrey, voici Matt. Matt, voici Aubrey et j’te préviens si tu lui pisses dessus, ça va barder » plaisanta le pianiste.

Aubrey regarda le jeune homme lui annoncer que son cochon d'inde s'appelait Matt, un air surpris et légèrement choqué au visage, alors qu'il réalisait qu'il n'avait pas fait les présentations. Il alla le chercher et, encore une fois, Aubrey le suivit du regard, un sourire aux lèvres, beaucoup moins mal à l'aise qu'à son arrivée. D'une façon étrange, la présence de Kit finissait toujours à la mettre à l'aise, comme s'ils se connaissaient depuis longtemps, et que c'était naturel qu'elle débarque dans la soirée sans prévenir à l'avance. Pourtant ça ne l'était pas, mais ça ne semblait pas le déranger. — Salut, Matt, dit-elle lorsque Kit eu rapproché le cochon d'inde d'elle, et elle passa sa main dessus pour le caresser, avant de relever les yeux vers le brun et de rire doucement. — Alors en fait, quand tout le monde te pense dans un bar entouré de belles filles jusqu'au petit matin, tu es en fait ici, en train de regarder la télé avec Matt, le cochon d'inde ? Elle arbora une nouvelle fois un petit air moqueur, sachant très bien que Kit ne le prendrait pas mal et se douterait qu'elle rigole simplement.

Kit observait minutieusement les mains élégantes d’Aubrey sur les poils exagèrement longs et touffus de Matt. Elle plaisanta mais elle n’avait pas tout à fait tord. Lorsqu’il ne traînait pas dans les bars, Kit passait des soirées tranquilles devant des séries à caresser son cochon d’inde, en effet. « C’est ça, tu m’as démasqué ». Des paroles ne lui échappèrent pas. La compagnie des belles femmes. Aubrey le savait mais elle ne l’avait jamais énoncé clairement devant lui. Kit se mordit la lèvre inférieure. Mais pourquoi culpabiliser ? Aubrey avait un fiancé. Il avait donc tous les droits de se jouer de la gente féminine à sa guise pour son petit plaisir. Il ne lui devait rien. Elle n’était qu’une amie, il fallait qu’il se rentre cela dans la tête. Kit se mit à caresser Matt, ses doigts effleurant accidentellement la main d’Aubrey. Cela lui provoqua une myriade de frissons alors qu’il se raidissait, comme paralysé par ce contact. Kit retira rapidement sa main pour s’emparer de sa tasse, espérant par là masquer son trouble. Il but une longue gorgée, se fichant pas mal de se brûler la langue. « Comment tu sais que je passe mes soirées bien accompagné ? », finit-il par demander en levant les yeux vers elle. C’était plus fort que lui. Il avait besoin de savoir comment elle le voyait. Certainement comme la plupart des femmes : comme un sale mec peu recommandable, un véritable queutard et briseur de cœur. Cette vision n’était d’ailleurs pas fausse.

Elle lui sourit gentiment lorsqu'il s'avoua démasqué, mais fut rapidement surprise lorsqu'elle sentit les doigts de Kit contre les siens. Elle baissa les yeux vers leurs mains, qui visiblement tentées de caresser le petit animal, et qui c'était simplement frôlées par inadvertance. C'était agréable, Aubrey aurait voulu que ça dure plus longtemps, mais Kit retira sa main pour attraper sa tasse de café. Ce n'était visiblement pas son cas, à lui. Elle décida de ne pas faire remarquer cette incident, ne voulant pas les mettre tous les deux plus mal à l'aise qu'ils ne l'étaient déjà. Après tout, ce n'était rien. Elle l'écouta attentivement lui demander comment elle savait ces informations sur lui, et sur son habitude à être toujours accompagné de jeunes femmes charmantes, mais rarement la même d'un soir à l'autre. — C'est ce que j'ai entendu dire sur toi, répondit-elle en osant les épaules, avant de poursuivre. Parfois j'ai l'impression qu'on ne me parle pas du même Kit, tu sais. Elle lui sourit une nouvelle fois, retirant à son tour sa main de l'animal poilu qui se trouvait devant elle, pour porter toute son attention au jeune homme chez qui elle s'était tout simplement invité. Elle continua de le regarder et prit une grande inspiration avant de se lancer dans plus d'explications. — Il parait que t'es.. le genre de gars qu'on devrait pas fréquenter si on veut pas se retrouver dans des plans foireux. Un mec qui s'intéresse à rien d'autres qu'aux fêtes, aux filles, et aux motos. Pourtant moi je sais que c'est absolument faux, alors pourquoi on dit tout ça de toi ?

Il laissa échapper un léger rire. C’est ce qu’elle avait entendu, c’était ce qu’il se disait sur lui et malheureusement, ce n’était pas faux. Aubrey avait l’impression qu’on ne lui parlait pas du même homme pourtant, c’était bel et bien lui, Kit ne pouvait pas le nier. Il détourna rapidement le regard, ne pouvant pas soutenir le sien alors qu’elle lui expliquait les rumeurs sur son compte. Il noya sa gêne dans son café, l’engloutissant à une vitesse folle alors que des yeux, il suivait son animal qui gambadait joyeusement sur le comptoir, l’ilot central de la cuisine. Aubrey maintenait que c’était faux. Pourtant, c’était elle qui était dans le faux. Parce qu’elle connaissait le côté artistique de Kit, la seule facette positive du jeune trentenaire. Il avala difficilement sa salive en soupirant. « Parce que c’est vrai », finit par concéder Kit. Pas plus tard que la semaine précédente, il avait été convoqué au commissariat pour une affaire de cambriolage où on le soupçonnait de complicité. Ce qui n’était pas un mensonge. Heureusement, à en user, Kit s’était innocenté. « Tu connais le Kit pianiste, Aubrey ». Au fond, hormis cet aspect là, Kit ne lui avait jamais parlé de sa vie. « Comme tout le monde, je traîne des boulets derrière moi. Le souci, c’est que dans une petite ville, ils nous suivent pendant un moment », expliqua Kit. Tout le monde ici – ou presque – savait qui était sa mère, qui était son père et qui il était. Ils savaient bien que Kit était un des habitués du commissariat dès qu’il se produisait quelque chose de répréhensible et qu’il couchait aussi sans remords avec les femmes, même mariées. A l’exception d’Aubrey. Elle, c’était différent. Il voulait faire les choses biens.

Elle le regarda attentivement se confier, avouer qu'il était ce type-là, celui dont elle avait entendu parlé, celui qui ne trainait jamais dans de bonnes affaire. Elle eu un léger pincement au coeur, mais réalisa rapidement que ça ne faisait pas de lui quelqu'un de spécialement mauvais. Elle avait eu la chance de connaitre son meilleur côté, contrairement à la plupart des gens, et ça lui plaisait. Il n'était pas un mauvais garçon, elle le savait. Elle en était persuadé. Alors peut-être qu'il trainait de mauvaises histoires, des boulets comme il l'avait dit, mais elle ne préférait pas le juger sur ça, mais plutôt prendre en compte ce qu'elle savait déjà sur lui: il était talentueux, il était gentil, et très respectueux. Il lui avait prouvé plein de fois, et c'était tout ce qui comptait, au fond. Elle haussa légèrement les épaules avant de lui sourire légèrement. — J'aime beaucoup le Kit pianiste. Pourquoi tu montres pas cette facette de toi au reste du monde. Elle avait remarqué sa gêne, et ne voulait pas le mettre plus mal à l'aise qu'il ne l'était déjà avec ses questions. Mais une partie d'elle voulait apprendre à le connaitre, plus que ce n'était pour l'instant le cas. — À moins que tu préfères garder ton image de mauvais garçon ?

« Parce qu’ils ne comprendraient pas, Aubrey », répondit instinctivement Kit. C’était un Aspen et les Aspen, ici, n’étaient pas réputés pour être de bonnes personnes. Tout le monde se souvenait de cet homme alcoolique qui aujourd’hui faisait la manche à l’entrée de l’hyper pour s’offrir des bières puis titubait, manquant d’agresser des adolescentes fortunées étalant leur richesse. Tout le monde connaissait les troubles de cette femme hospitalisée depuis quinze ans avec un nombre de tentatives de suicide qui pourrait rentrer dans le livre des records. Comment un mec aussi indélicat qu’un mécano et qu’un dur à cuire pouvait jouer du piano ? Pourtant, c’était possible. Kit le faisait et il était doué, prodigieux même. « Ce n’est pas une image », rétorqua-t-il tout en prenant Matt entre ses grandes mains. Kit se leva et alla enfermer le petit animal dans sa cage. Dos à la jeune femme, il poursuivit. « C’est ce que je suis », compléta le brun. Kit alla s’asseoir sur le tabouret de son piano, caressant les touches noires et blanches du bout des doigts sans appuyer dessus pour autant. Il se décala pour laisser une place vide sur le tabouret, tapotant dessus pour indiquer à Aubrey de venir le rejoindre. Puis, il prit son enregistreur, un genre de MP3 et brancha dessus des écouteurs pour en tendre un à la jeune femme et en mettre un second dans ses oreilles. Kit avait enregistré une composition, la veille. Il lança la musique, silencieux, sans oser la regarder.

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Kit s'éloigna d'elle, et elle se senti coupable d'avoir créé une situation pareille. Pour une fois, elle avait voulu faire autre chose que la musique, le connaitre pour qui il était vraiment, et pas seulement pour ses talents. Peut-être n'était-il pas encore prêt, peut-être n'avait-il absolument pas envie que leur relation soit basée sur autre chose que la confiance. Elle le regarda se diriger vers le piano, l'observant attentivement alors que Matt s'était déjà mit à tourner dans sa cage. Aubrey fini par se lever, s'approchant du piano et de Kit, qui lui fit signe de s'asseoir près d'elle, comme s'il savait qu'elle était juste là, à le regarder. Elle se posa près de lui, sur le tabouret, en silence, et attrapa l'écouteur qu'il lui tendit, avant d'écouter attentivement le morceau. C'était de lui, elle le savait. Elle pouvait clairement reconnaitre sa façon de jouer de toutes les heures où ils avaient fait de la musique ensemble, sur ce même tabouret, à improviser des morceaux et à rire à chaque erreurs comme s'ils se connaissaient depuis des années. — T'as du talent, fini-t-elle par dire simplement, tournant la tête vers lui. T'as vraiment du talent, et tu le sais. Pourquoi tu le caches ?

Tout ce que Kit ne parvenait pas à dire oralement passait par sa musique. Ce morceau était l’expression rythmée d’un mal être, d’un malheur. Il parlait de sa mère, de la noirceur de son âme. De sa dépression, de ses tentatives de suicide à répétition et face à cela, bien qu’il ait trente ans, Kit n’était qu’un gamin désarmé et désabusé, malheureux d’avoir grandi sans l’amour de ses parents. Aubrey le complimenta. Il retira son écouteur puis celui de la jeune femme, remettant au passage l’une de ses mèches de cheveux derrière son oreille. « Parce que je n’ai pas ton courage », répliqua Kit. Il admirait Aubrey de pouvoir se produire sur une scène, devant un petit public. Lui en était bien incapable. Il se souvenait comme si c’était hier de leur rencontre, de la façon presque magnétique par laquelle ses yeux s’étaient rivés à elle et son cœur s’était mis à s’emballer à la mesure de sa voix envoutante. Aubrey était une artiste merveilleuse. Il posa ses mains nerveusement sur ses cuisses, sans plus bouger, comme un enfant modèle en classe sur son banc. Son regard dériva devant lui, sur une photo, un cadre le représentant, lui, Dane – son meilleur ami – et Elba – la sœur de ce dernier – à une époque, il y a sept ou huit ans déjà, où ils étaient encore ensemble. « Il sait que tu es là ? » demanda brusquement Kit en sortant de son silence. Il, c’était son fiancé. Il ne savait pas son prénom et au fond, il s’en fichait. Il détestait ce gars sans même le connaître. Parce qu’il avait ce que lui ne pouvait même pas rêver avoir : Aubrey.

L'allusion de Kit au courage que la jeune femme avait la fit légèrement sourire. Elle savait que ça pouvait être difficile de se lancer. De monter sur scène, d'être jugée par des personnes qu'elle ne connait pas, et même pire, par ses proches. La peur de l'échec, du ridicule, de ne pas être assez bien. C'était certainement le plus difficile quand on était artiste, mais elle savait que ça n'arriverait pas à Kit. Il était talentueux, elle n'en doutait plus, et personne ne pourrait remettre ça en question. Elle continua de le regarder, jusqu'à ce qu'il sorte finalement de son silence, demandant s'il s'avait. Il, Niels. Son fiancé. Elle l'avait presque oublié pendant un instant, alors que Kit lui parlait de lui. Elle avait oublié les problèmes dans son couple, problèmes qui l'avait fait venir ici, seule, sans rien dire, pour se remonter le moral et tout oublier en compagnie d'un autre.  — Non, il ne sait rien du tout. La culpabilité refit surface, penser à Niels alors qu'elle était ici, elle avait du mal à l'accepter. Il ne s'était rien passé entre Kit et elle, bien sûr. Ils n'avaient pas couché ensemble, ils ne s'étaient même pas embrassés, et rares étaient les gestes qui pouvaient porter à confusion dans leur relation, bien qu'ils se l'autorisaient, parfois, comme lorsque Kit avait remit une des mèches de cheveux d'Aubrey derrière son oreille. — C'est compliqué avec lui, et je pense pas qu'il apprécierait beaucoup que je passe ma soirée avec un autre homme. Bien sûr que non, il n'apprécierait pas. Elle le savait très bien, et c'était une des raisons pour lesquelles elle n'avait rien dit à personne, en plus du fait qu'elle voulait garder cette histoire entre eux deux simplement. Comme un secret à elle, que personne ne pourrait découvrir.

Aucun homme normalement constitué apprécierait de savoir sa fiancée en compagnie d’un loubard comme Kit avec une sale réputation sur le dos. Kit esquissa un rire. Donc Aubrey mentait à son compagnon ? Au fond de lui, cela le réjouissait au plus haut point mais pas autant que d’apprendre que leur relation était compliqué. « Ah ? », demanda Kit en arquant un sourcil tout en tournant la tête vers la jeune femme. C’était intéressant d’en apprendre davantage pour lui, afin qu’il puisse gagner discrètement et subtilement du terrain. Kit aurait moins de scrupules à s’aventurer sur ce terrain là si ça n’allait pas bien entre Aubrey et son fiancé. Il prendrait même certainement du plaisir à ruiner ce qu’il restait de leur relation si elle était en chute libre. « Tu sais que si tu as besoin de parler, j’suis là », mentionna-t-il. La carte du pote compatissant ? Pourquoi pas. Kit n’était pas un garçon subtil en matière de charmes. Avec les femmes, il allait toujours droit au but, à savoir sous les draps, pour une nuit, jamais deux – hormis avec Elba qu’il revoyait régulièrement -. Kit s’installa autrement sur le banc de piano, une jambe de part et d’autres du petit siège, pour pouvoir regarder de profil la belle Aubrey. « Toi et moi, on est amis, c’est pas qu’une question de musique ». Et pour Kit, ce n’était pas qu’une question d’amitié, aussi…

Aubrey se demanda si parler de sa relation avec Kit était une bonne chose ou pas. D'un côté, cela mettait des barrières. Une sorte de façon de rappeler au jeune homme qu'elle n'était pas libre, et à elle même par la même occasion. Mais ces barrières, elle n'était pas sûre de vouloir les mettre. Kit lui plaisait, c'était indéniable. Et elle avait beau culpabiliser de ce qu'elle ressentait pour lui, ça ne changeait rien à ça. Mais Kit semblait vouloir en savoir plus et, elle ne savait pas trop pourquoi, elle était presque à faire et dire tout ce qu'il voulait, ou presque. C'était sûrement son petit sourire, ou ses beaux yeux. Il se tourna légèrement, changeant de position, et Aubrey puis sentir le regard du jeune homme sur elle, alors qu'il mentionnait leur amitié. Des barrières, encore. Un moyen certain de faire comprendre à Aubrey qu'ils n'étaient qu'amis, peut-être, bien que les gestes qu'il avait envers elle disait totalement le contraire. — On ne vient pas du même monde. Ou peut-être que si, mais on ne veut pas aller au même endroit. Pour lui vouloir devenir chanteuse.. futile. C'est pas un vrai métier. Elle soupira légèrement avant de regarder Kit à nouveau, un petit sourire s'affichant sur son doux visage alors qu'elle détaillait une nouvelle fois celui du jeune homme du regard. — Ça me change, d'être avec toi. C'est bien. Ce n'était certainement pas le genre de choses que l'on disait à un ami, à un simple ami. Ce n'était pas ce qu'ils étaient. Elle ne savait peut-être pas ce qu'ils étaient, mais ce n'était pas de simples amis.

Kit esquissa un sourire amusé. Aubrey et son copain n’étaient pas du même monde alors que dire d’elle et lui ? Aubrey semblait si classe à côté de lui, mécano aux mains huileuses et poreuses. Il l’écouta attentivement. Il fut choqué de découvrir qu’aux yeux de son fiancé, chanteuse n’était pas un métier. Sa bouche s’ouvrit légèrement, mimant la surprise. « Il t’as jamais entendu pour chanter une connerie comme ça », rétorqua Kit avec agressivité. Aubrey avait une voix merveilleuse. Elle méritait une carrière digne des plus grandes artistes. Il planta son regard dans le sien. « Et il fait quoi, ton mec, pour prétendre ça ? Ministre ? », articula Kit avec sarcasme, loin de se douter qu’il n’était pas très loin de la vérité. Les paroles qui suivirent firent emballer le cœur de Kit qui tenta de masquer son trouble, plus ou moins vainement. « J’aime être avec toi », finit-il par admettre, comme un aveu de faiblesse en quelque sorte mais il n’y pouvait rien. Kit, un brin gêné, se râcla la gorge tout en détournant le regard. Son genou frôlait celui de la jeune femme. Ce contact, aussi bête et infime soit-il, l’enflammait déjà. Il frissonna, se redressant soudainement sous l’impulsion de cette réaction physique. « Tu n’as qu’une vie, Aubrey. Fais ce qui te rend heureuse, ne te soucis pas de l’opinion des gens, même s’il s’agit de ton mec », conclut le brun.

La jeune femme sourit un peu plus au compliment discret de Kit. Elle savait qu'il aimait sa voix, il ne l'avait pas caché. C'est même comme ça qu'ils avaient commencé à parler. Il était venu la trouver pour lui parler de sa voix, et même si elle avait été surprise, c'était toujours agréable, surtout venant d'un garçon comme Kit. Elle détourna le regard en continuant de l'écouter, lâchant un petit rire lorsqu'il lui demanda si Niels était ministre. — Il est dans la politique, t'as raison. À croire que t'ai medium, Kit. Elle le regarda à nouveau, amusée par ce malheureux hasard. — J'aime être avec toi. Il avait sorti ça d'un coup, comme s'il te l'avait pas réfléchie, comme s'il avait parlé trop vite. Un léger sourire s'afficha sur le visage de la jeune chanteuse, et elle continua de le regarder, alors qu'il semblait visiblement assez mal à l'aise. Elle sentit son genou frôler le sien, et le jeune homme sembla de plus en plus mal à l'aise, et Aubrey fini par détourner le regard. Encore une fois, elle aurait aimer sentir son genou contre le sien un peu plus longtemps. Les rares moments où leurs corps se touchaient étaient toujours trop court, mais elle avait du mal à se l'avouer, déjà à elle-même. — Je fais ce qui me rend heureuse, fini-t-elle par répondre en le regardant à nouveau. Je serais pas là, sinon, tu crois pas ?

Kit avait vu juste, sans le savoir. Le fiancé d’Aubrey, ce chanceux, était dans la politique. En effet, comme il le pressentait si bien, il avait une profession aux antipodes de la sienne. Kit était un garagiste spécialisé dans les deux roues. Il bossait avec son meilleur ami pour le père de ce dernier et chouchoutait les bécanes comme sa mère aurait voulu qu’il prenne soin des femmes. Or, ça n’était pas le cas. Kit n’était délicat qu’avec les deux roues. Son cœur s’emballa lorsqu’Aubrey prétendit faire ce qui la rendait heureuse, soit être là, avec lui. Il ne pu pas cacher les rougissements de ses joues et se maudit d’avoir une peau claire qui réagissait trop à son goût. Il se mordit la lèvre en souriant, offrant un regard en biais à Aubrey. « Tu es heureuse avec lui ? », demanda Kit, soudainement. Il jura discrètement. Ce n’était pas vraiment ses affaires, c’était indiscret et vraiment, ça ne le regardait pas. Kit se leva du banc de piano. « Désolé, ça ne me regarde vraiment pas » s’excusa le brun en allant terminer sa tasse de café dans laquelle il ne restait qu’un fond, devenu froid et âcre. Il grimaça tout en déposant la tasse dans l’évier. Kit se maudissait. Maintenant qu’il parlait du mec d’Aubrey – ou plutôt de son fiancé – il peinait à cacher sa rancœur et sa jalousie. C’était stupide et primaire, comme réaction. Aubrey n’avait jamais manifesté le moindre intérêt pour lui autre qu’amical et à agir ainsi, il finirait par perdre son amitié. Ce qu’il ne voulait absolument pas. « J’suis vraiment mal placé pour te parler de relation », finit-il par admettre. Il n’avait eu qu’une seule relation, avec Elba. Cela avait duré des années, ponctué de séparations, de disputes, de douleur et d’infidélités.

À nouveau, Kit sembla gêné, mal à l'aise, mais malgré son rougissement et la façon dont il se mordait la lèvre, elle pouvait remarquer son léger sourire. Il était content de ce qu'elle venait de lui avouer, et ça lui plaisait étrangement. Il fini par lui demander si elle était heureuse avec Niels, une question qu'elle tentait d'éviter de la part de tout le monde depuis des mois maintenant, mais surtout de Kit. Elle haussa légèrement les épaules. — Je suis heureuse, c'est pas toujours tout noir. On serait pas ensemble, sinon. C'est juste... C'est vraiment compliqué, Kit. Aubrey le regarda s'éloigner, retournant vers la cuisine où ils avaient laissé leurs cafés. Elle attendit un peu puis fini par se lever à son tour, le rejoignant lentement tout en l'écoutant attentivement. Elle sourit légèrement en arrivant à son niveau, un peu surprise par sa remarque. — J'ai du mal à croire que ton physique ne fasse pas craquer toutes les filles que tu croises, ne me dit pas ça. Elle s'adossa au comptoir de la cuisine, continuant de le regarder avec son petit sourire amusée. Si elle disait ça, c'est qu'elle savait de quoi elle parlait. Son petit sourire en coin, son regard attentif, ses grandes mains et tout le reste de son corps aurait plu à n'importe qui, elle la première.

Elle était heureuse, du moins le prétendait-elle et c’était assez pour briser silencieusement le cœur de Kit. Malgré les problèmes et la complexité de son histoire, elle était heureuse. Si elle ne l’avait pas été, il aurait peut-être essayé, plus fortement. Les relations compliquées, Kit connaissait. Il entendait encore Elba pleurer ou lui crier dessus alors qu’une énième infidélité était révélée. Leur histoire avait été tortueuse, passionnelle. Lorsqu’ils ne se criaient pas dessus, ne se déchiraient pas, ils s’envoyaient en l’air ; Elba, las de cette situation instable mais également de s’inquiéter sur la prochaine arrestation de Kit avait toutefois fini par recouvrer la raison et le quitter. C’était il y a des années et depuis, Kit, qui en avait tout de même souffert, n’avait plus officialisé aucune relation. En fait, aucune n’avait duré plus d’une nuit et d’un matin. Il n’avait plus aimé, non plus, jusqu’à ce qu’il entende la voix d’Aubrey puis ne pose les yeux sur elle. Il esquissa un rire à la remarque d’Aubrey. Son physique ? Kit se détestait. Il se trouvait carabossé et pas foncièrement charmant. Selon lui, ce qui plaisait aux filles, c’était la même chose qui les faisaient partir en courant – ou en pleurant - : son côté bad boy. « Elles préfèrent le côté mauvais garçon pour emmerder leur père ou leur frangin », répondit Kit en haussant des épaules. Il se redressa, faisant ainsi face de toute sa hauteur à une Aubrey en face de lui. Il baissa les yeux vers elle, un regard en coin. « Il y en a bien qui résistent, malheureusement »

Elle lâcha un petit rire alors qu'il lui annonça que les filles préféraient son côté mauvais garçon. Aubrey connaissait une toute autre facette de lui. C'était quelqu'un de gentil, de doux et de passionné par sa musique. Il lui ressemblait bien plus qu'il ne semblait le remarquer. — C'est sûr que mon père préférerait que je fréquente un musicien qu'un.. comment tu as dit, un mauvais garçon, c'est ça ? Elle avait toujours du mal à croire qu'il pouvait exister un autre Kit que celui qu'elle avait l'habitude de voir, cet homme drôle et talentueux avec qui elle aimait tant faire de la musique. Mais il n'avait pas tord, son côté mauvais garçon devait faire flipper plus d'un père. Pendant une petite seconde, elle s'imagina annoncer à ses parents qu'elle sortait avec un mec comme Kit se décrivait. Ça ne dura qu'une seconde, avant qu'elle ne soit prise de remords et de culpabilité, de s'imaginer être avec un autre, alors qu'elle était fiancé. — Il faut bien que certaines te résistent, sinon tu prendrais la grosse tête. Elle avait du mal à imaginer que qui que ce soit pouvait lui résister, à vrai dire. Ses petits regards en coin et la façon qu'il avait de lui sourire l'avait fait craqué dès le premier jour où ils s'étaient rencontré, et ça n'avait pas changé depuis. Elle s'en voulait, mais c'était la vérité.

« En l’occurrence, ton père ne doit pas s’angoisser : tu fréquentes un politique », répliqua Kit, séchement, du moins plus qu’il ne l’aurait souhaité. Comment pouvait-il faire le poids face à cela ? Alors que le fiancé d’Aubrey débattait de sujet de société, lui réparait des motos et ressortait tout dégueulasse d’une journée de travail, gras et noirci par les huiles moteurs. De toute façon, là n’était pas la question. Aubrey ne le présenterait jamais à son père. C’était réglé. Elles n’étaient pas beaucoup à résister à Kit. De ce côté-là, il faisait relativement peu d’efforts pour séduire les femmes. En fait, il n’y en avait qu’une qui lui résistait ou du moins, qui ne voyait pas combien elle lui plaisait et c’était elle. Kit s’en trouva pris au dépourvu, incapable d’articuler quoi que ce soit. Il préféra détourner le regard, comme chaque fois qu’il était gêné. Il craignait qu’Aubrey puisse y lire ce qu’il ressentait. Il ne fallait pas. « De toute façon, séduire ne m’intéresse plus », finit par avouer Kit. Il ne jouait plus. Il draguait nettement moins depuis qu’il la connaissait car elles n’étaient pas Aubrey. Cela n’avait pas la même saveur. Cela lui était même arrivé de coucher avec une femme en s’imaginait que c’était elle et il trouvait cela horriblement pathétique si bien que désormais, il s’abstenait et se contentait de ses fantasmes pour assouvir des besoins charnels naturels. « Plus depuis que ce que je veux m’est inaccessible ». Il jura intérieurement. Autant lui dire directement que c’était elle, qu’il voulait. Kit se maudissait. Quel con, mais quel con ! « Je me contente de la compagnie de mon bon vieux Matt », lança-t-il en espérant détendre l’atmosphère qu’il avait lui-même alourdie.

Aubrey remarqua facilement le ton légèrement sec de Kit, lorsqu'il lui rappela qu'elle était avec un politicien. Le sourire de la jeune femme disparu rapidement à cette réflexion, mais il avait bien raison. Non seulement elle fréquentait un politique, mais elle était fiancée, et elle allait se marier avec lui. Avec personne d'autre, encore moins avec Kit, cet homme qui semblait accumuler les conquêtes, sûrement des femmes bien différentes d'Aubrey. Contrairement à certaines familles, celle d'Aubrey n'avait jamais vraiment tenu à ce qu'elle fréquente des hommes bien placés. Docteurs, avocats, ou encore politiciens, tout ce qu'ils voulaient vraiment, c'était qu'elle soit heureuse. Sa rencontre avec Niels avait été un véritable hasard, et elle n'était certainement pas avec lui pour son métier et les avantages qui allaient avec. Elle continua d'écouter attentivement ce qu'il lui disait, se surprenant à espérer silencieusement qu'elle était celle dont il parlait, cette fille inaccessible qu'il voulait tant. Elle aurait pu lui demander, mais ça n'aurait rien changé. Sa timidité prit le dessus, et elle se décida de se taire et de rire à sa deuxième remarque sur Matt, le cochon d'inde. Elle tourna la tête vers la cage du rongeur en souriant, avant de regarder le brun à nouveau. — J'ai interrompu votre moment. Il va me détester maintenant. Elle le regarda avec un air amusé, plutôt ravie que l'atmosphère soit plus détendue, et qu'elle n'ai plus à expliquer ses problèmes amoureux à celui qui semblait faire emballer son coeur un peu trop souvent, depuis qu'elle le connaissait.